La scénographie française déploie ses ailes à Prague
Du 6 au 16 juin 2019, la Quadriennale de Prague, événement de référence en matière de scénographie et d'architecture théâtrale, fête ses 50 ans d'existence. Pour l'occasion, la France fait son grand retour après 16 ans d'absence, sous la direction du metteur en scène Philippe Quesne.
Publié le 04/06/2019
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Discipline hybride, à la croisée des chemins entre pratiques architecturales, dramaturgiques et plastiques, la scénographie théâtrale est souvent associée au travail de mise en scène. Pourtant, prise en tant que forme esthétique, elle met en œuvre des préoccupations qui en font un art à part entière : sa singularité réside dans sa capacité à donner vie aux mondes enfouis dans l'imaginaire d'un dramaturge. Partant de cette certitude, la Quadriennale de Prague explore, tous les quatre ans, les mouvements qui agitent la discipline. La scénographie y est abordée sous toutes ses formes, autour de différentes thématiques.
Pour la 14e édition, la capitale de la République tchèque attend 800 artistes, venus de 79 pays pour présenter plus de 600 performances en une dizaine de jours. Trois compétitions internationales y récompensent également les projets les plus audacieux dans les sections « Pays & Régions », « Écoles » et « Architectures de Théâtre ». Absente de l'événement depuis 2003, la France présente cette année deux pavillons d'exposition et compte bien réaffirmer à travers eux la vitalité créative de sa scène théâtrale contemporaine.
La scénographie, art de la fusion
Cinquantième anniversaire oblige, la Quadriennale 2019 s'articule autour de trois thèmes fortement liés à l'esprit qui anime l'événement depuis sa création. À Prague, la scénographie est conçue comme un travail syncrétique, visant à extraire le meilleur de différentes formes esthétiques afin d'exprimer la puissance d'une vision artistique. Cette volonté de célébrer l'alliance de forces hétérogènes emportées dans un même élan créatif demeure symbolisée par le prix le plus prestigieux remis lors du festival : le « Triga d'Or ».
Ce trophée s'inspire de la statue trônant sur le fronton du Théâtre national de Prague qui représente la déesse de la victoire, Niké, sur un chariot tiré par trois chevaux. Chaque animal incarne un âge de la vie : la vigueur de la jeunesse, l'expérience de l'adulte et la sagesse du vieillard. À la manière de ces équidés embarqués au service d'un même idéal, la 14e édition de la Quadriennale décline ses trois thèmes afin d'évoquer les étapes marquantes du processus de création scénographique : l'Imagination, la Transformation et la Mémoire.
Boîte à rêve(s)
La délégation française est emmenée par le directeur du théâtre des Amandiers, Philippe Quesne. Réputé pour ses scénographies foisonnantes, peuplées d'un bestiaire baroque et jamais dénuées d'humour, le metteur en scène formé aux Arts Décoratifs met la scénographie au cœur de ses spectacles. Depuis sa nomination à la tête du Centre dramatique national de Nanterre en 2014, il en a fait un lieu d'expérimentation pour cette discipline en invitant des artistes mêlant allègrement les formes comme Théo Mercier, ou Sophie Pérez et Xavier Boussiron.
En tant que directeur artistique de la présence française, Philippe Quesne présente d'abord Microcosme, une création inédite. Autour du mythe de l'île déserte, qu'il a déjà effleuré en 2018 dans le spectacle Crash Park, il prolonge son étude des micro-sociétés humaines confrontées à la survie, mais aussi à la création de nouvelles utopies, d'étonnants fantasmes. Cette installation immersive est aussi l'occasion de donner vie à une de ces boîtes d'observation dont l'auteur a le secret et de placer au cœur de sa réflexion la notion de paysage, tour à tour lieu d'angoisse, d'épreuve ou de rêverie.
Libérer la créativité
À côté du pavillon « France », l'espace dédié aux écoles propose une expérience particulièrement originale qui embrasse avec ferveur l'un des trois thèmes de la Quadriennale : « Imagination ». Plutôt que de sélectionner, de manière classique, les meilleurs travaux d'étudiants, l'équipe pédagogique a opté pour un cadre plus ouvert, libre et propice à l'éclosion des imaginaires scénographiques de cette génération naissante.
Huit établissements nationaux formant à la discipline (ENSA Nantes, EnsAD Paris, ENSATT Lyon, École Nationale d'Architecture de Paris La Villette et Paris-Malaquais, HEAR Mulhouse/Strasbourg, École du Théâtre national de Strasbourg et Université Paris 3) ont donc convié une dizaine d'étudiants à s'exprimer dans le cadre d'une « Neuvième école » et à réfléchir ensemble à la conception du pavillon. Pendant un an, les écoles se sont rencontrées au fil d'ateliers et de tables rondes entre Nanterre, Paris et Strasbourg, afin de préciser leur travail, d'expérimenter des formes nouvelles et d'élaborer le projet final.
Autour d'une question formelle autant que politique – « Que signifie représenter la France ? » –, les étudiants sont partis du thème de l'île, au cœur de la création de Philippe Quesne, pour élaborer leur propre parti-pris, marqué par le choix du matériau pauvre. Il en résulte un projet axé sur l'itinérance et imprégné par les cultures d'Afrique, qui s'incarne dans un camion de scénographie chargé d'embarquer avec lui les rêveries des élèves, mais aussi de raconter, métaphoriquement, le retour de la France à Prague, après des années d'absence.
Scénographie augmentée
Pour accompagner ce double projet, la délégation s'est enfin dotée d'un outil créatif supplémentaire. Sur le site web de la présence française à la quadriennale, les étudiants et leur directeur artistique ont composé un journal de bord grâce auquel les internautes peuvent suivre l'évolution des travaux, visualiser des esquisses ou découvrir les portraits de chaque participant.
Conçu comme une fenêtre sur le projet plus que comme une simple vitrine, cet espace virtuel et hétéroclite permet d'observer au microscope le processus de création à l’œuvre, au quotidien, jusque dans ses sursauts et ses revirements. La démarche rappelle évidemment le goût de Philippe Quesne pour les vivariums et les expériences entomologiques. Elle porte surtout un sens particulièrement fort dans le cadre de cette Quadriennale 2019 où s'affiche une scénographie libérée des contraintes, véritable art de l'élan collectif et de l'hybridation.
L’Institut français est partenaire de la Quadriennale de Prague.